Josuald, ou comment partir en fumée

Ce fut dans un épais silence que l’on dressa la table dans le jardin, à l’emplacement où les herbes restaient courtoises tant il fallait respecter les mollets des jolies dames enjuponnées. Le jardin en lui-même ne possédait aucun attrait, si ce n’était une haie de lauriers mal entretenue où les gamins du village se dissimulaient pour observer les voisins que nous étions. Il n’avait pas plu depuis le mois de mai et le gazon commençait à tirer la langue, tout comme les chats qui revendaient la leur à prix d’or car ils en possédaient d’autres dans leurs sibyllines réserves d’existences.

C’était en ce jour un repas que l’on définirait d’habituel, où seule assistait la famille : un père, une mère, deux filles et un petit garçon, ainsi qu’une grand-mère du côté maternel que les enfants installèrent à l’ombre d’un chêne pour qu’elle puisse sentir l’odeur du tronc et des bénédicités et non de la chaîne que son mari défunt lui avait accrochée au cou, ainsi que d’ une alliance en or au doigt dans une église de province, quarante ans plus tôt.

Le temps nourrissait la famille par diverses denrées surgissant de terre à chaque saison, dont le patriarche gérait l’entièreté du potager, et la saison hivernale engrangeait citrouilles, épinards et blettes que tous devaient manger en mastiquant et ruminant le jour où viendrait leur revanche : faire avaler une avalanche de frites à ce paternel dans un fast food en était une des façons. Cependant, l’heure n’était pas encore venue, bien que Julien, le plus jeune des enfants, eut déjà envisagé de mettre une carotte entre les fesses de papa et de l’expédier dans un terrier de lapins affamés, comme il l’ait vu dans les images du livre d’Alice au pays de merveilles. Laure, sa sœur cadette, lui arracha le livre des mains : « on ne lit pas à table, et au lit on dort » , ce à quoi répliqua la sœur aînée, Clotilde, qui fêtait ce jour-là son seizième anniversaire : « et pas qu’avec un livre ».

On installa un groupe de musiciens dans un recoin du jardin, histoire d’effaroucher les passereaux et les merles chanteurs, trop enclins à égayer les jardins quand la nature fleurit dans les arbres fruitiers, car il fallait avant tout que règne le silence en ce lieu qui pourtant portait en soi la gaieté, la joie et les discussions les plus avinées, celles qui offrent aux palais vinicoles les plus renommés châteaux bordelais.

En fait, si les convives se taisaient, Julien venait de trouver le moyen de se venger des légumineuses du père Fouettard (en fait Jérôme était son blaze). Car la famille attendait quelqu’un : l’oncle Josuald, dont les enfants connaissaient depuis des années ce qu’en disait leur père : « votre oncle Léon, ce rouleur de cigarette, viendra un de ces jours nous enquiquiner avec sa fumée cancérigène, alors préparez-vous dès maintenant à quitter la table, le jour où il se présentera. » Et ce jour était venu.

Josuald était le frère d’Émeline, l’épouse de Jérôme. C’était ce qu’on appelle un brave homme, de corpulence rondouillarde mais sans excès, certes buveur, hâbleur et joueur de cartes, qui avait prospéré dans les tavernes du pays où ses tricheries étaient encore méconnues des autochtones avec lesquels il entretenait des rapports assez divers, selon qu’il s’adressât aux perdants ou aux faux gagnants (car ceux-ci se retrouvaient ensuite dans la première catégorie, quand lui s’était éclipsé du village les poches pleines). Ainsi disait-il lui-même « je vis une petite vie de rouleur de cigarette », expression qu’avait captée en son temps Jérôme et qui lui avait valu de détester cet homme affable et courtois qu’était le frère d’Émeline.

Comme cela se pratiquait il y a bien longtemps, sur la table un couvert supplémentaire avait été dressé, non pour accueillir un pauvre comme la tradition l’exigeait, mais pour le cas où débarquerait sans prévenir l’affreux oncle Josuald. Comme le repas se déroulait dehors Émeline n’avait pas mis de cendrier près du couvert. L’herbe suffirait à absorber les cendres et mégots de l’oncle. D’autant que les garnements planqués dans la haie de lauriers ne manqueraient pas de venir récupérer plus tard le tabac issu des mégots que Josuald enverrait balader sur la pelouse.

C’est au cliquetis de sa voiture électrique qu’il apparut enfin, à l’heure exacte où les verres tintent de l’apéritif et des glaçons printaniers qui font fondre la glace du rude hiver dont ne restent que les légumes (citrouilles, épinards etc) qu’il faut manger avant qu’ils ne moisissent. Julien, malgré son jeune âge, pensait que l’hiver ne finirait jamais alors que la soupe au potiron commençait à peine à tourner de l’œil dans son assiette. Laure et Clotilde ne disaient mot, mais par supercherie purement féminine elles quittaient la table sous des prétextes fallacieux et alimentaient la grand-mère calée au pied du chêne, qui parfois partageait son assiette avec les musiciens que tout le monde avait oubliés.

L’oncle Josuald fut placé à un bout de la table, et Jérôme à l’autre, de manière à éviter toute prise de main entre eux. Émeline était à côté de son frère et les trois rejetons de la famille occupaient les autres sièges latéraux disponibles. La discussion s’ancra sur les nouvelles les plus insipides de la vie courante durant laquelle il ne fut pas question du cliquetis de la voiture électrique de Josuald, ni sur la présence dans un recoin du jardin de musiciens affamés, juste quelques mots pour la grand-mère endormie au pied du chêne.

Les garnements cachés dans la haie de lauriers commençaient à s’ennuyer sérieusement, lorsque Josuald alluma sa première cigarette. Par un hasard fortuit, les passereaux du jardin se mirent à siffloter, les merles à chanter et l’herbe caressa tendrement les jupes d’Émeline, de Laure et de Clotilde. Émeline, pourtant excellente maîtresse de maison, ne se leva pas pour continuer le service, et même ses filles restèrent assises (quitte à affamer leur grand-mère, qui somnolait la bouche ouverte). Les volutes de fumée prodiguées par l’oncle Josuald se répandaient dans l’air ambiant, envahissant le jardin, la haie de lauriers mal entretenue, les arbres fruitiers en fleur, et fait important, Jérôme lui-même restait statique, son visage prenait la transparence d’une vitrine derrière laquelle s’exposent des mannequins féminins aux apparats printaniers . Josuald, impassible, tirait sur son mégot et enfumait l’espace, silencieux comme une ville vers quatre heures du matin. On entendit les musiciens s’accorder sur une reprise du « jardin extraordinaire » de Charles Trenet. Julien se demanda s’il n’avait pas oublié des pages d’Alice au pays des merveilles, Clotilde sa lecture de la Belle au bois dormant, et Laure les aventures de Peter Pan.

Ce fut un beau moment de symbiose familiale, telle qu’elle n’en est que rarement évoquée dans les livres. Mais peu à peu la réalité cède sa part de rêves au vent quand celui-ci se lève. Et ainsi s’égaillent les moments les plus harmonieux. Jérôme fut le premier à émerger. Il avait repris son air méchant quant à Josuald, et dans l’articulation de sa vindicte encore embrumée il lui demanda : « mais dis-moi, tu as changé de marque de tabac, non ? »

Josuald répondit : « mon pauvre Jérôme, le tabac coûte une blinde de nos jours, alors je me suis mis au cannabis. »

L’histoire ne raconte pas s’ils sont devenus amis, ni si Émeline, Laura et Clotilde se sont mises à fumer l’herbe qui chatouillait leurs mollets, ni si la « nouvelle carotte » des buralistes a fait changer Julien sur son jugement au sujet de son père. Ni sur le cliquetis des voitures électriques, des musiciens affamés, et des grand-mères qui ont nourri les petits garnements désormais grands, bref : Josuald, ton couvert est toujours mis sur la table, occupe-le quand tu passes par ici, que tu sois riche ou pauvre, laisse le vent nous emporter loin de la folie des hommes.

26 04 2024

AK

Les mardis de la poésie : François de Malherbe (1555-1628)

Mes yeux, …

Mes yeux, vous m’êtes superflus ;
Cette beauté qui m’est ravie,
Fut seule ma vue et ma vie,
Je ne vois plus, ni ne vis plus.
Qui me croit absent, il a tort,
Je ne le suis point, je suis mort.

Ô qu’en ce triste éloignement,
Où la nécessité me traîne,
Les dieux me témoignent de haine,
Et m’affligent indignement.
Qui me croit absent, il a tort,
Je ne le suis point, je suis mort.

Quelles flèches a la douleur
Dont mon âme ne soit percée ?
Et quelle tragique pensée
N’est point en ma pâle couleur ?
Qui me croit absent, il a tort,
Je ne le suis point, je suis mort.

Certes, où l’on peut m’écouter,
J’ai des respects qui me font taire ;
Mais en un réduit solitaire,
Quels regrets ne fais-je éclater ?
Qui me croit absent, il a tort,
Je ne le suis point, je suis mort.

Quelle funeste liberté
Ne prennent mes pleurs et mes plaintes,
Quand je puis trouver à mes craintes
Un séjour assez écarté ?
Qui me croit absent, il a tort,
Je ne le suis point, je suis mort.

Si mes amis ont quelque soin
De ma pitoyable aventure,
Qu’ils pensent à ma sépulture ;
C’est tout ce de quoi j’ai besoin.
Qui me croit absent, il a tort,
Je ne le suis point, je suis mort.

Chanson – La merveille des belles

Sus, debout, la merveille des belles !
Allons voir sur les herbes nouvelles
Luire un émail dont la vive peinture
Défend à l’art d’imiter la nature.

L’air est plein d’une haleine de roses,
Tous les vents tiennent leurs bouches closes ;
Et le soleil semble sortir de l’onde
Pour quelque amour plus que pour luire au monde.

On dirait, à lui voir sur la tête
Ses rayons comme un chapeau de fête,
Qu’il s’en va suivre en si belle journée
Encore un coup la fille de Pénée.

Toute chose aux délices conspire,
Mettez-vous en votre humeur de rire ;
Les soins profonds d’où les rides nous viennent
À d’autres ans qu’aux vôtres appartiennent.

Il fait chaud, mais un feuillage sombre
Loin du bruit nous fournira quelque ombre,
Où nous ferons parmi les violettes,
Mépris de l’ambre et de ses cassolettes.

Près de nous, sur les branches voisines
Des genêts, des houx et des épines,
Le rossignol, déployant ses merveilles,
Jusqu’aux rochers donnera des oreilles.

Et peut-être à travers des fougères
Verrons-nous, de bergers à bergères,
Sein contre sein, et bouche contre bouche,
Naître et finir quelque douce escarmouche.

C’est chez eux qu’Amour est à son aise ;
II y saute, il y danse, il y baise,
Et foule aux pieds les contraintes serviles
De tant de lois qui le gênent aux villes.

Ô qu’un jour mon âme aurait de gloire
D’obtenir cette heureuse victoire,
Si la pitié de mes peines passées,
Vous disposait à semblables pensées !

Votre honneur, le plus vain des idoles,
Vous remplit de mensonges frivoles :
Mais quel esprit que la raison conseille,
S’il est aimé, ne rend point la pareille ?

poèmes issus du site : https://www.lapoesie.org/francois-de-malherbe

Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_de_Malherbe#Stances

Anniversaire du droit de vote des femmes (21 avril 1944) : une nouvelle excellente de Saki (1870-1916)

Au cours de la seconde décade du XXe siècle, après que la peste eut dévasté l’Angleterre, Hermann, dit l’Irascible, aussi surnommé le Sage, monta sur le trône d’Angleterre. La maladie mortelle avait balayé la famille royale jusqu’à la troisième et quatrième génération. C’est ainsi que Hermann, le quatorzième héritier des Saxes-Drachsen-Wachestelstein, qui était treizième dans l’ordre de succession, fut appelé à régner sur l’Angleterre et ses possessions au-delà des mers. L’accession d’Hermann au trône fut un de ces faits imprévisibles qui surviennent parfois en politique, et il prit ses fonctions très au sérieux. Dans beaucoup de domaines, Hermann était le monarque le plus progressiste qui eût jamais siégé sur un trône vraiment important. Avant que ses sujets puissent prendre conscience de la situation, elle avait changé. Même ses ministres qui étaient progressistes par tradition eurent du mal à s’aligner sur ses propositions de loi.

-En fait, reconnut le 1er ministre, nous sommes gênés par toutes ces femmes qui clament qu’elles veulent le droit de vote ; elles dérangent nos réunions dans tout le pays et elles essaient de transformer Downing Street en terrain de pique-nique.

-Il faut les en empêcher, dit Hermann.

-Les en empêcher ? Dit le Premier ministre. Je suis tout à fait d’accord, mais comment ?

-Je vais vous rédiger un projet de loi. Les femmes voteront aux élections : elles voteront , comprenez-le bien, ou pour être plus clair, elles devront voter. Pour les hommes, le vote restera facultatif comme il l’a toujours été. Toutes les femmes de 21 à 70 ans seront obligées de voter et non seulement en cas d’élections parlementaires ou municipales, aux élections d’arrondissement, à celles des paroisses, mais aussi pour les juges, les inspecteurs des écoles, les marguilliers, les conservateurs de musée, l’administration de la Santé, les interprètes auprès des tribunaux, les professeurs de natation, les adjudicataires, les maîtres de chapelle, les surveillants de marché, les professeurs de peinture, les bedeaux et autres fonctionnaires locaux que je rajouterai au fur et à mesure que l’idée m’en viendra. Toutes ces nominations seront soumises à élection, et toutes les femmes qui ne voteront pas où elles résident seront soumises à une amende de dix livres. Toute absence qui ne sera pas justifiée par un certificat médical valable ne pourra bénéficier d’aucune excuse. Soumettez ce projet aux deux Parlements et apportez-le -moi après -demain pour que je le signe.

Dès le début, le privilège du Vote Obligatoire fut accueilli avec peu d’enthousiasme, voire pas d’enthousiasme du tout, même dans les milieux qui avaient réclamé le droit de vote avec le plus d’insistance. L’ensemble des femmes du pays s’était révélé hostile ou indifférent à l’agitation électorale, et les suffragettes les plus fanatiques commencèrent à se demander ce qu’il pouvait bien y avoir de si attrayant dans la perspective de mettre un bulletin de vote dans une boîte. Dans les municipalités, l’exécution de la nouvelle loi parut assez compliquée ; dans les villes et les agglomérations importantes, ce fut un vrai cauchemar. Les élections se déroulaient sans fin. Les blanchisseuses et les ouvrières durent se dépêcher de quitter leur travail pour aller voter, souvent pour un candidat dont elles n’avaient jamais entendu le nom et qu’elles avaient choisi au hasard. Les employées de bureau, les serveuses se levaient aux aurores pour se dépêcher de voter avant de se rendre à leur lieu de travail. Les femmes du monde voyaient leurs habitudes et leur vie bouleversées par l’obligation d’atteindre le lieu du scrutin. Finalement, les sorties du week-end et les vacances d’été devinrent peu à peu un luxe masculin. Le Caire et la Riviera ne furent accessibles qu’aux grandes invalides et aux femmes extrêmement riches, car l’accumulation des amendes de dix livres pendant une absence prolongée ne permettait pas à des gens, même aisés, de courir ce risque.

Personne ne s’étonne donc que l’agitation contre le droit de vote des femmes prît une ampleur considérable. La ligue des « pas de vote pour les femmes » compta un million d’adhérentes. Ses couleurs jaune citron et pourpre foncé s’affichèrent partout et son hymne de combat : nous ne voulons pas voter devint un refrain populaire. Comme le gouvernement ne semblait pas tenir compte de cette tentative de persuasion pacifique, on en vint à des méthodes plus violentes. Des réunions furent perturbées, des ministres malmenés, des policiers mordus et l’ordinaire des prisons rejeté. La veille de l’anniversaire de Trafalgar, des femmes grimpèrent par groupes de trois sur les colonnes de Nelson. Il fallut donc renoncer à la décoration florale habituelle. Cependant, le gouvernement maintenait obstinément sa conviction : les femmes devaient avoir le droit de vote.

Enfin, en dernier ressort, une excellente idée, bien féminine, se fit jour ; il est étrange qu’elle ne soit pas survenue plus tôt : on assista à l’organisation de la Grande Lamentation. Les femmes se relayèrent par dix mille et pleurèrent sans arrêt dans les lieux publics de la capitale. Elles pleurèrent dans les stations de métro, dans les wagons, dans les omnibus, à la National Gallery, dans les docks et les arsenaux, dans le parc Saint James, les récitals de chant, chez Prince et sous les arcades de Burlington. Le succès, jusque là ininterrompu, de la brillante comédie satirique intitulée le lapin d’Henry fut compromis par la présence de femmes qui sanglotaient aux fauteuils d’orchestre, aux balcons et aux secondes galeries. Un cas de divorce des plus brillants qui n’arrivait pas à aboutir depuis plusieurs années se vit privé d’une bonne part de son éclat par la conduite lacrymatoire d’une partie du public.

-Qu’allons-nous faire ? Demanda le Premier ministre dont la cuisinière avait pleuré dans tous les plats du petit déjeuner et dont la nurse était sortie en ravalant péniblement ses larmes pour emmener les enfants faire une promenade dans le parc.

-Il y a un temps pour tout, dit le roi. Il y a aussi un temps pour céder. Soumettez aux deux Parlements un édit privant les femmes du droit de vote et apportez-le-moi après-demain pour que je lui accorde le consentement royal.

Pendant que le ministre se retirait, Hermann l’Irascible, qu’on surnommait aussi le Sage, rit sous cape.

-On a dit qu’il y avait bien d’autres façons de tuer un chat que de l’étouffer avec de la crème, mais je ne suis pas sûr, ajouta-t- il, que ce ne soit pas le meilleur moyen.

Nouvelle extraite de « Le cheval impossible » de SAKI, éditions Julliard, collection Parages (1993)

Si vous aimez l’humour sarcastique , noir, et originalissime, lisez cet auteur, mort au combat près de Beaumont-Hamel en 1916.

Les mardis de la poésie (et des fables): La Fontaine, ça coule de source (2e goulée)

Le Chat et le Renard

Le Chat et le Renard, comme beaux petits saints,
S’en allaient en pèlerinage.
C’étaient deux vrais Tartufes, deux Archipatelins,
Deux francs Patte-pelus qui des frais du voyage,
Croquant mainte volaille, escroquant maint fromage,
S’indemnisaient à qui mieux mieux.
Le chemin était long, et partant ennuyeux,
Pour l’accourcir ils disputèrent.
La dispute est d’un grand secours ;
Sans elle on dormirait toujours.
Nos pèlerins s’égosillèrent.
Ayant bien disputé, l’on parla du prochain.
Le Renard au Chat dit enfin :
« Tu prétends être fort habile ;
En sais-tu tant que moi ? J’ai cent ruses au sac.
– Non, dit l’autre : je n’ai qu’un tour dans mon bissac,
Mais je soutiens qu’il en vaut mille. »
Eux de recommencer la dispute à l’envi.
Sur le que si, que non, tous deux étant ainsi,
Une meute apaisa la noise.
Le Chat dit au Renard : « Fouille en ton sac, ami ;
Cherche en ta cervelle matoise
Un stratagème sûr : pour moi, voici le mien. »
À ces mots, sur un arbre il grimpa bel et bien.
L’autre fit cent tours inutiles,
Entra dans cent terriers, mit cent fois en défaut
Tous les confrères de Brifaut.
Partout il tenta des asiles,
Et ce fut partout sans succès ;
La fumée y pourvut, ainsi que les bassets.
Au sortir d’un terrier deux chiens aux pieds agiles
L’étranglèrent du premier bond.
Le trop d’expédients peut gâter une affaire :
On perd du temps au choix, on tente, on veut tout faire.
N’en ayons qu’un, mais qu’il soit bon.

Le Chat, la Belette et le petit Lapin

Du palais d’un jeune Lapin
Dame Belette, un beau matin,
S’empara : c’est une rusée.
Le maître étant absent, ce lui fut chose aisée.
Elle porta chez lui ses pénates, un jour
Qu’il était allé faire à l’Aurore sa cour,
Parmi le thym et la rosée.
Après qu’il eut brouté, trotté, fait tous ses tours,
Jeannot Lapin retourne aux souterrains séjours.
La Belette avait mis le nez à la fenêtre.
« Ô Dieux hospitaliers ! que vois-je ici paraître ?
Dit l’animal chassé du paternel logis.
Holà ! madame la Belette,
Que l’on déloge sans trompette,
Ou je vais avertir tous les rats du pays. »
La dame au nez pointu répondit que la terre
Était au premier occupant.
C’était un beau sujet de guerre,
Qu’un logis où lui-même il n’entrait qu’en rampant !
« Et quand ce serait un royaume,
Je voudrais bien savoir, dit-elle, quelle loi
En a pour toujours fait l’octroi
À Jean, fils ou neveu de Pierre ou de Guillaume,
Plutôt qu’à Paul, plutôt qu’à moi. »
Jean Lapin allégua la coutume et l’usage.
« Ce sont, dit-il, leurs lois qui m’ont de ce logis
Rendu maître et seigneur, et qui, de père en fils,
L’ont de Pierre à Simon, puis à moi Jean, transmis.
Le premier occupant, est-ce une loi plus sage ?
– Or bien, sans crier davantage,
Rapportons-nous, dit-elle, à Raminagrobis. »
C’était un Chat vivant comme un dévot ermite,
Un Chat faisant la chattemite,
Un saint homme de chat, bien fourré, gros et gras,
Arbitre expert sur tous les cas.
Jean Lapin pour juge l’agrée.
Les voilà tous deux arrivés
Devant Sa Majesté fourrée.
Grippeminaud leur dit : « Mes enfants, approchez,
Approchez, je suis sourd, les ans en sont la cause. »
L’un et l’autre approcha, ne craignant nulle chose.
Aussitôt qu’à portée il vit les contestants,
Grippeminaud, le bon apôtre,
Jetant des deux côtés la griffe en même temps,
Mit les plaideurs d’accord en croquant l’un et l’autre.
Ceci ressemble fort aux débats qu’ont parfois
Les petits souverains se rapportant aux rois.

Les chiens se fichent du temps (les chats aussi).

Il y a très longtemps, j’étais un jeune chiot. Aujourd’hui je suis devenu un vieux chien. Je dois admettre que mon nom de famille a escorté ma vie entière dans ce sens : je m’appelle Ivan Klébard. Bien sûr, ça vous amuse ; Ivan Lechat vous serait moins risible, mais mon numéro de sécurité sociale et ma carte d’identité l’attestent, alors j’ai dû faire avec. J’étais encore enfant quand, fuyant la surveillance de mes parents, je me suis baladé dans les rues du faubourg. J’avais douze ans. Lorsque soudain, le temps s’est arrêté. C’est alors que je me suis rendu compte que j’avais mis mes pieds sur son ombre. Le temps n’avançait plus. Et dans ma frayeur enfantine je me mis à courir vers l’adolescence, piétinant à la fois l’ombre et son maître vagabond, qui est censé marcher des milliers de marathons dans l’espace des hommes, sans jamais reculer, sans jamais apercevoir la ligne finale dont tout le monde des humains connaît le prix de la récompense qui lui sera offert. Je pénétrais dans un immeuble, montant jusqu’au dernier étage. Immature encore, je m’endormis sur un paillasson donnant accès à la terrasse avec vue sur la ville, en chien de fusil, caché sans gâchette en pleines lumières solaires et stellaires. Avant que le temps ne reprenne sa marche et ne recousit son ombre passèrent quelques longs mois et sans doute de saisons , jusqu’à ce printemps là, qui me vit éclore d’une nouvelle nature. J’étais devenu un chien fou, un de ces animaux qui flairent l’amour, la passion, la jeunesse que rien n’empêchait d’exister, tant le sentiment d’avoir tué le temps pour le remplacer par l’immédiateté des instants sulfureux et sensuels était devenu une réalité presque éternelle.

Je n’étais plus le toutou à sa maman ni l’esclave de la laisse censée promener pépère, j’étais libre de pouvoir pisser sur le temps qui passe, sur les réverbères et les connaissances impatientes de ceux qui sont derrière les buissons, les pissotières d’hier et les urinoirs de Decaux sans rien débourser.

Arrivé à la trentaine (selon les calendriers de la Poste), je connus une jeune femme qui avait certes du chien, mais -par extraordinaire- s’appelait Maryse Lechat. Nous nous mariâmes à proximité d’Asnières près du pont de Clichy, par respect pour nos ancêtres. Pour baptiser notre enfant, une fille, nous donnâmes à l’état civil le prénom de Collierette et pour nom de famille Lechat-Klébard. Ça faisait très station de métro, mais les bouches de métro ne parfument pas les baisers des époux de miasmes pestilentiels quand ils s’unissent devant le curé qui en a ras les burettes d’unir les phéromones des autres, quand les siens se veulent consacrés à la cause divine.

Collierette Lechat-Klébard suivit les meilleures écoles de la métropole, et apprit très vite à ronger les mollets et les os de ses voisins de l’amphithéâtre et d’ainsi trouver sa place dans le gotha désuet du temps qui passe en années estudiantines surnuméraires quant à former un être qui sera de toute manière déjà dépassé dans ses connaissances par la génération suivante et leurs nouveaux outils. En cela, elle avait mon côté paternel : elle pratiquait a mezza voce l’IA : l’Indifférence Anarchique. Pour payer ses études elle trouva un petit boulot de pigiste dans un journal local, où elle fut affectée à la rubrique des « chiens écrasés ». Sa mère était ravie qu’elle collaborât dans cet espace dédié à la cause familiale mémorielle.

Nous, en tant que parents, étions attentifs à l’évolution de ses connaissances, sans toutefois manquer à nos obligations. Un soir, par exemple, elle entra dans la maison sans se déchausser, et mît ses chaussures à talons aiguilles sur le tapis. Grands dieux ! C’était le tapis d’ombre du temps que tout-à-coup elle foulait et nous, parents, fûmes pétrifiés de voir que notre fille ne progresserait pas si elle restait ainsi, immobile, tétanisée, sur ce tapis magique. La vengeance du temps se présentait dans tout son apparat. Par un geste incroyable, mon épouse lui lança un smartphone Xième génération que Collierette attrapa au vol. Ses doigts volages lui permirent illico de se remettre en route et c’est ainsi qu’elle put écraser le temps en lui marchant dessus tout en piquant ses fesses.

Hélas, ce que nous ne savions pas, c’est que le temps est multiple, il danse la valse, il court plus vite que l’athlète sur la piste du stade olympique, il est toujours à l’heure pour honorer un rendez-vous, c’est là d’ailleurs que je l’ai connu plus tard, en tant que vieux chien. Quant à mon épouse née Lechat, elle l’a suivi par une nuit profonde, l’admirant et l’aimant sur le reflet des gouttières en zinc, quand la lune est pleine.

Quant à Collierette, je ne devrais pas le dire, elle tapine chaque nuit devant le métro Lechat-Klébard, alors si vous passez par là, dites-lui que ses parents l’aiment…immuablement. Peut-être vous fera-t-elle un prix, si le temps passe à proximité.

15 04 2024

AK

(les chats aussi)

Je suis vivant (mais ça craint !) -rediff-

J’ai du habiter dans un autre monde pour ne plus voir en celui-ci que les pas de ma désillusion, les flaques qui ne reflètent plus les étoiles après l’averse, quand le ciel se dégage de sa tristesse, des mollets et du cul de celle qui dormait encore avec moi dans les buissons, malgré le couvre-feu. Comment ne pas transgresser l’harmonie du plaisir quand bouillonne dans la nuit une marmite autoritaire ?

Je suis vivant.

J’ai conscience que cela reste indépendant de ma volonté et que nombre silhouettes noires dansent autour de mon tombeau (que mes proches creusent en buvant des chopines de Jupiler). La vie la mort, je m’en fous, j’ai embrassé tant de baisers qu’à la dernière heure les lèvres exquises de l’abandon me pendront à l’heure exacte du bonheur d’en finir. Je fermerai les yeux, tes lèvres pétries d’éternité, mes doigts gourds balayant ton ventre chaud, poussés par le vent de noroît, en un dernier mouvement ; ô vous femmes, un ultime baiser que le vagabond sur votre blessure intime ne peut cautériser de son poignard brûlant, criminel aguerri de ce monde d’avant. Quel sera le prochain, y en aura-t-il un ?

Pourtant, c’est curieux, en cette aube qui s’ouvre, une impression un peu bizarre, j’ai ce sentiment de voir la nuit s’effilocher dans cet épais brouillard qui enrobe encore les bois et les collines. Est-ce ton rire, la couette tiède ou les chats qui réclament leur pitance ?

Je suis vivant.

J’ai conscience que cela reste indépendant de ma volonté et ce ne sont pas les flocons de neige qui rendent silencieux mon souffle noirci de tabac blond. J’écoute simplement ma nudité se déshabiller dans le néant des jours à venir, et je ris de mes mauvaises dents d’avoir jusqu’ici su trahir la mort. Le temps m’est compté mais les silhouettes noires des corbeaux ont pour le moment déserté le trou que mes proches creusent en buvant des chopines de Jupiler. Ils volent au-dessus des champs de bataille, croassent et se nourrissent de cadavres d’hommes de femmes et d’enfants, alors que moi, seul dans mon autre monde, je sens encore la chair tiède de tes seins sur ma peau mal rasée, sans comprendre ce que fait dans ma main ce couteau de cuisine brûlant. Mais qu’importe…

Je suis vivant.

03 01 2021

AK

Pâques

Je suis vraiment ingénu ! Après avoir lu ce titre de La Dépêche du Midi :

«  Des Dominicaines se prostituaient dans des appartements toulousains : des notables du Gers mis en examen », et comme j’habite à proximité de Lourdes, j’ai de suite pensé qu’il s’agissait de bonnes sœurs…Du coup, je me suis mis à fantasmer d’autant que demain c’est Pâques et que je vis comme un Jésus se nourrissant essentiellement de jésuites (et au mois d’août de religieuses), une pâtisserie qui croque sous la dent avec sa crème onctueuse dont on se pourlèche les lèvres. Alors pensez, monter au septième ciel avec une sœur de l’ordre des Dominicains

(rappel : L’ordre dominicain est un ordre religieux fondé par saint Dominique il y a huit cents ans. Les religieux de cet ordre sont reconnaissables à leur robe blanche et à leur manteau noir. Ils sont voués à annoncer le Christ par la parole et par l’étude, avec joie, avec compétence et par tous les moyens imaginables). Alors, leurs compagnes doivent avoir pas mal de choses à m’enseigner, question amour de Dieu. C’est donc en excellente forme que je m’apprêtais à m’étendre sur mon lit pour faire une sieste réparatrice (pour l’ordre des Réparatrices je verrai cette nuit)

Rappel : « Les Sœurs de l’Adoration réparatrice constituent un institut religieux contemplatif catholique féminin de droit pontifical vouée à l’Adoration du Saint-Sacrement et à l’approfondissement de la foi chrétienne par le moyen de retraites spirituelle ».

Bref, une bonne sieste en bonne compagnie me dis-je, quand soudain Lucifer, de l’ordre des Lucifériens ( je suis pour ma part membre honoraire des Luckyfonriens) me rappela à la réalité (nouveau rappel :«Dans ce mouvement de pensée, Satan est un adversaire de Lucifer. Lucifer souhaite un monde nouveau où l’homme serait affranchi des ordres divins) ») Le grand Lulu me secoua et m’expliqua qu’en fait, les Dominicaines étaient des femmes qui vivaient sur l’île d’Hispaniola, dans les Caraïbes, île qu’elles partageaient mais sans amitié réciproque avec une autre engeance féminine, les Haïtiennes.

Forcément, je me sentis ridicule d’avoir confondu toutes ces obédiences avec mon désir charnel de pouvoir monter au ciel avec une ceinte femme encorsetée qui m’aurait ensorcelé. Devant ma déconvenue Lucifer sembla attristé. Il me regarda avec tendresse : « toi, dit-il, tu es le plus con que j’ai jamais cornu. Alors pour te consoler de ta bévue, je te propose un deal : écoute moi bien, si tu m’appelles Lulu, on peut s’arranger. En effet, j’ai un petit bastringue dans le Gers où des clients comme toi sont les bienvenus. Bon, c’est pas gratuit mais tu y trouveras ton bonheur, si tu paies cash. En échange, tu m’offres tes fantasmes, car en ce moment la réalité m’empêche d’en avoir avec tout ce qui se passe sur cette terre. Qu’en dis-tu? »

« -Il y a un ascenseur dans ton bastringue ? Je te le demande, car demain je sais qu’un certain Jésus va en prendre un et j’ai pas envie de tomber en panne avec lui, et son petit slip affriolant risque encore de me faire fantasmer. Je ne voudrais pas te damner, mon Lulu ! »

30 03 2024

AK

Les mardis de la poésie (et des fables) : Jean de La Fontaine (1621-1695)

Le Renard et la Cigogne

Compère le Renard se mit un jour en frais,
Et retint à dîner commère la Cigogne.
Le régal fut petit, et sans beaucoup d’apprêts ;
Le galant pour toute besogne
Avait un brouet clair (il vivait chichement.)
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :
La Cigogne au long bec n’en put attraper miette ;
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.
Pour se venger de cette tromperie,
À quelque temps de là la Cigogne le prie :
Volontiers, lui dit-il, car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie.
À l’heure dite il courut au logis
De la Cigogne son hôtesse,
Loua très fort la politesse,
Trouva le dîner cuit à point.
Bon appétit sur tout ; Renards n’en manquent point.
Il se réjouissait à l’odeur de la viande
Mise en menus morceaux, et qu’il croyait friande.
On servit pour l’embarrasser
En un vase à long col, et d’étroite embouchure.
Le bec de la Cigogne y pouvait bien passer,
Mais le museau du Sire était d’autre mesure.
Il lui fallut à jeun retourner au logis ;
Honteux comme un Renard qu’une Poule aurait pris,
Serrant la queue, et portant bas l’oreille.
Trompeurs, c’est pour vous que j’écris,
Attendez vous à la pareille.

Les Grenouilles qui demandent un roi

Les grenouilles se lassant
De l’état démocratique,
Par leurs clameurs firent tant
Que Jupin les soumit au pouvoir monarchique.
Il leur tomba du ciel un roi tout pacifique :
Ce roi fit toutefois un tel bruit en tombant,
Que la gent marécageuse,
Gent fort sotte et fort peureuse,
S’alla cacher sous les eaux,
Dans les joncs, les roseaux,
Dans les trous du marécage,
Sans oser de longtemps regarder au visage
Celui qu’elles croyaient être un géant nouveau.
Or c’était un soliveau,
De qui la gravité fit peur à la première
Qui, de le voir s’aventurant,
Osa bien quitter sa tanière.
Elle approcha, mais en tremblant ;
Une autre la suivit, une autre en fit autant :
Il en vint une fourmilière ;
Et leur troupe à la fin se rendit familière
Jusqu’à sauter sur l’épaule du roi.
Le bon sire le souffre et se tient toujours coi.
Jupin en a bientôt la cervelle rompue :
« Donnez-nous, dit ce peuple, un roi qui se remue. »
Le monarque des dieux leur envoie une grue,
Qui les croque, qui les tue,
Qui les gobe à son plaisir ;
Et grenouilles de se plaindre.
Et Jupin de leur dire :« Eh quoi ? votre désir
A ses lois croit-il nous astreindre ?
Vous avez dû premièrement
Garder votre gouvernement ;
Mais, ne l’ayant pas fait, il vous devait suffire
Que votre premier roi fut débonnaire et doux
De celui-ci contentez-vous,
De peur d’en rencontrer un pire.»

Jean de La Fontaine, Fables

La table ronde des gougnafiers

Convié à la table ronde des nations qui régissent le monde, je ne sais par quelle méthode on m’y installa, je me suis assis avec prudence pour regarder autour de moi les convives présents, qui s’étaient tous inscrits sur la liste électorale de leur pays permettant de justifier et de remplir le formulaire d’invitation nécessaire à déjeuner ensemble, formulaire validé par le biais dansant des différentes valises diplomatiques transportées en secret dans des aéroplanes blindés.

L’ambiance était conviviale, un orchestre jouait en arrière plan je ne sais quelle musique savante qui remplissait les bouches d’un sabir inaudible, ce qui devait être une méthode assumée pour que les échanges verbaux soient aussi importuns que la dialectique de chaque nation, car de toute manière il n’y avait rien à dire ni échanger et que tous les représentants du monde assemblés autour de la table étaient là uniquement pour festoyer.

Après un court discours du maître de cérémonie, le festin commença. Il n’y avait pas de femmes, celles-ci, était-il prévu, viendraient avec les liqueurs séminales en se glissant sous la nappe, ce qui fit rire l’assemblée. J’eus alors ce sentiment de relire « la ferme des animaux » de George Orwell car à voir ces dirigeants tout rappelait les porcs du livre, mais ce n’était plus de l’anticipation, c’était bel et bien la réalité qui s’exposait dans ce banquet : les hommes cuisinaient pour des porcs, les vêtaient de tissus rares repassés en coulisse sur lesquels ils bavaient, les hommes étaient devenus les machines à produire le bien-être et la fortune de ces dirigeants gras du bide et qui, sous couvert de gérer un monde social et égalitaire, démocratique et élaboré pour l’homme et la liberté, en fait ne déployaient que les sept plaies d’Égypte remises à jour pour accroître la peur et le malheur des tribus humaines dont je faisais partie.

C’est alors que je compris qu’au final, le carton d’invitation que m’avait envoyé la mairie de mon patelin perdu n’était qu’une carte d’électeur, et que l’un d’entre nous, parmi la multitude de gens crédules à qui s’offrait ce droit, gagnerait un repas offert dans l’enceinte d’un palais édifié pour les grands de ce monde, servi par mes congénères en tablier siglé à des porcs et leurs truies (au dessert seulement) qui n’en auront jamais à faire d’autrui et de l’altruisme.

23 03 24

AK

Contrairement à ce que l’on entend souvent, il y a bien eu 10 et non 7 plaies d’Égypte :

  1. La transformation de l’eau du Nil en sang
  2. L’invasion des grenouilles
  3. L’invasion des poux, puces et moucherons
  4. La horde d’animaux sauvages
  5. La fièvre animale
  6. La propagation des furoncles
  7. L’invasion des criquets
  8. Le torrent de grêle
  9. L’obscurité totale
  10. L’ultime fléau

(photo Bourisp, festival des grands reporters 2021)

Alors, pourquoi ?

Pourquoi mourir debout quand on peut vivre à genoux, confortablement assis dans un fauteuil à tripoter son smartphone, à décliner l’actualité les yeux grands ouverts face à un écran qui rend débile tout sens critique ? Pourquoi parler du réchauffement climatique quand les radiateurs fonctionnent à bloc dans les pièces de la maison en hiver, pourquoi parler des pénuries d’eau quand il suffit d’ouvrir le robinet de l’évier, de la douche eau chaude eau frette, et qu’on ne boit que des alcools licencieux en compagnie de femmes ivres d’amours frelatés, pourquoi la police légale ne se nomme-t-elle pas police létale, pourquoi ne limite-t-on pas la durée de vie des gens comme on limite celles des routes, pourquoi ne considère-t-on pas les accents circonflexes comme des espions chinois, car sous ces chapeaux se cachent des fautes d’orthographe qui rendent fous les enfants lors des dictées où ils finissent par obtenir zéro sur vingt, pourquoi croire en ces religions quand le téléphone sonne et qu’il n’y a personne au bout, pourquoi demander aux charbonniers d’aller travailler à notre place, aux bourreaux de travail d’aimer tuer le temps le cul posé sur la sellette de leurs bureaux, pourquoi demander aux commissaires priseurs de vendre cette poudre qu’est la cocaïne des riches lors des ventes aux enchères, quand le luxe ressemble plus à un tableau de chasse qu’à un amour de l’art, pourquoi s’exténuer quand le monde entier est une grosse fatigue doublée souvent de famine, de confits de connards, pourquoi muselle-t-on le temps libre pour le promener vers un soi-disant monde meilleur éblouissant de lumière électrique née des réverbères, urinoirs et caniveaux, pollutions nocturnes et attentes insatiables d’un rendez-vous manqué avec l’humanité, pourquoi la démocratie est-elle devenue une auge dans laquelle les puces électroniques règnent comme la teigne sur les chiens que nous sommes devenus depuis que l’on gratte le pouvoir d’achat dans les poubelles du progrès et de l’égalité, pourquoi serait-il temps d’en finir quand, comme disent les vieux : « la guerre est là , elle s’immisce jour après jour dans l’atmosphère, irrésistible, irresponsable! ». Pourquoi ai-je dans la tête cette foutue chanson de Nino Ferrer, « le Sud », et ces paroles : « un jour ou l’autre il y aura la guerre, on le sait bien… »

Alors : pourquoi ?

22 03 2024

AK